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Le Roi et le Clown

Le 17/01/2008 à 12:00
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Notre avis
8 10 Non content de briser des tabous du cinéma coréen en abordant les relations sulfureuses entre un roi et son bouffon, Lee Jun-Ik délivre un film remarquablement écrit, un drame satirique très émouvant et original dans son propos. Le Roi et le Clown brille aussi par son interprétation au sommet, entre un Jung Jin-Young époustouflant dans le rôle du despote et un Lee Joon-Ki fascinant en clown à la beauté androgyne. S'il n'y avait qu'un film coréen à voir en ce début d'année 2008, ce serait celui-là.

Critique Le Roi et le Clown

Critique Critique Le Roi et le Clown

 

Véritable phénomène en Corée du Sud, Le Roi et le Clown a attiré dans les salles obscures locales plus de 12 millions de spectateurs dans les semaines qui ont suivi sa sortie (le 29 décembre 2005), battant à l'époque tous les records du box-office, un succès rapidement suivi d'une collection impressionnante de récompenses. Depuis, le film a fait le tour des festivals, remportant au passage le Prix du Jury au Festival du Film Asiatique de Deauville 2007. Pourtant, rien ne prédisposait le film de Lee Jun-Ik à connaître un tel destin, tant le parcours du cinéaste pour monter son projet avait tout du suicide financier. Réalisé avec un budget de moins de 3 millions d'euros provenant de Cineworld, sa maison de production alors au bord de la faillite, et de la poche de quelques amis (parmi lesquels Kang Woo-Suk, auteur de Silmido), Le Roi et le Clown a été tourné dans un nombre limité de décors, eux-mêmes récupérés d'une série télévisée, et ne mettait en avant aucune star locale. Pour enfoncer le clou, le sujet du film s'éloignait radicalement des thématiques phares du cinéma commercial coréen, habitué à miser sur l'action spectaculaire sur fond de conflit nord-sud et/ou de valeurs viriles pour attirer les foules. Le seul avantage du film était de bénéficier de l'aura de la pièce de théâtre dont il était adapté, Yi de Kim Tae-Woong. Mais en mettant en scène un quatuor amoureux formé par trois hommes et une femme, Le Roi et le Clown allait rapidement se faire une réputation sulfureuse. Dans le cinéma coréen, l'homosexualité restait jusqu'alors un sujet réservé aux films indépendants (Road Movie) ou éventuellement à quelques thrillers présentant une image peu glorieuse des concernés (La 6e Victime, Scarlett Letter). Chose amusante, le hasard a fait que le film de Lee Jun-Ik est sorti quasi en même temps que Le Secret de Brokeback Mountain d'Ang Lee. Cependant, au-delà du scandale qu'il a suscité, Le Roi et le Clown demeure surtout un film captivant qui raconte de manière pour le moins originale une émouvante histoire d'amour sur fond de satire sociale.

 

Critique Critique Le Roi et le Clown

 

Dès les premières minutes, une scène montrant la troupe de Jangsaeng (Gam Woo-Sung) et Gong-Il (Lee Joon-Ki) effectuer un numéro de clowns agrémenté de quelques acrobaties, le film démontre une incroyable capacité à impliquer le spectateur en créant une complicité immédiate avec les personnages. Pourtant, aux rires insouciants du peuple succède bientôt l'envers glacial du décor : les clowns sont avant tout des mendiants soumis au bon vouloir des riches. Le temps de deux séquences, Lee Jun-Ik introduit la plupart des enjeux majeurs du film : la condition des personnages, la relation forte et ambiguë entre Jangsaeng et Gong-Il, mais aussi la cause du drame, à savoir la fascination que la beauté androgyne de Gong-Il exerce sur les hommes de pouvoir. C'est lorsque les deux clowns et leur troupe se voient contraints de faire leur numéro parodique devant le roi Yonsan (Jung Jin-Young) et sa favorite Chang Nok-su (Kang Sung-Yun) que le film bascule : le rire du roi leur sauve la peau mais pourrait bien causer leur perte. C'est le début d'une spirale sans fin. En s'introduisant dans la Cour du roi, Jangsaeng et Gong-il effectuent une double transgression. En plus d'outrepasser les limites associées à leur condition, ils bouleversent involontairement les fondements même de l'ordre social en amenant le roi à révéler son homosexualité. Pour la confusion croissante entre Gong-Il et son personnage de la scène, on pense bien sûr au sublime Adieu Ma Concubine de Chen Kaige, mais la comparaison s'arrêtera là. Outre les passions extrêmes qui étreignent bientôt les quatre protagonistes principaux, Le Roi et le Clown se penche sur les tourments intérieurs d'un roi guetté par la folie.

 

Critique Critique Le Roi et le Clown

 

Loin d'être schématique, le scénario du Roi et du Clown utilise paradoxalement le spectacle pour faire éclater la vérité, la cour où se déroulent les numéros grotesques et colorés des clowns devenant le centre de gravité du récit. Pour les nobles, c'est dans cette cour que les secrets enfouis éclatent au grand jour et que les masques tombent. C'est aussi dans cette cour que Jangsaeng et Gong-il apparaissent plus inséparables et complices que jamais, un lien exprimé de manière métaphorique par la corde de funambulisme. Tragiques et tourmentés, les personnages du Roi et du Clown se débattent et entament une véritable descente aux enfers dans cet univers de faux-semblants régi par des règles immuables et miné par la corruption. Servi par la mise en scène élégante de Lee Jun-Ik qui révèle une grande maîtrise du cadre et de l'espace, le film navigue entre ironie et tragédie, entre retenue et effusions émotionnelles. La tonalité mélodramatique (très coréenne) des échanges entre Jangsaeng et Gong-Il souligne ainsi leur humanité face à la froideur des manipulations orchestrées par les sujets du roi. Outre des qualités visuelles indéniables, Le Roi et le Clown doit aussi beaucoup à une distribution tout simplement remarquable, à commencer par Jung Jin-Young (Bichunmoo, Guns and Talks), stupéfiant dans le rôle du despote fou, un personnage émouvant en dépit de ses excès et de sa cruauté. Jung Jin-Young se voit magnifiquement donner la réplique par le reste du casting, entre Gam Woo-Sung qui suscite immédiatement l'empathie, et le jeune Lee Joon-Ki qui fascine littéralement en plus de faire preuve d'une belle intensité.

 

En définitive, Le Roi et le Clown mérite amplement son succès et sa réputation. A l'heure où le cinéma coréen se réfugie derrière son star system et quelques schémas récurrents pour remporter à coup sûr l'adhésion du public asiatique, on ne peut qu'être agréablement surpris qu'un film aussi risqué ait déclenché un tel phénomène. On espère voir d'autres scandales de ce genre éclater en Corée du Sud dans les années à venir.






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